Lecture partagée : « Nature Humaine » de Serge Joncour
2021-01-06
Un livre magnifique, qui nous encourage, nous motive à créer de toujours plus beaux jardins, à l’image de ces livres, ces histoires écrites si parfaitement. Agathe vous en fait la présentation :
L’an 2000, bientôt suivi par le troisième millénaire, arrive. Demain. Et avec lui, la suite de la transformation du monde, de son entrée dans la modernité dont les prémisses l’ont déjà bien affecté. Ce sont ces prémisses – généralisation du téléphone dans les foyers, débats sur le nucléaire, société de consommation, agriculture industrialisée – qu’Alexandre, repreneur de la ferme corrézienne de ses parents, revit en ce réveillon, comme autant d’étapes qui ont marqué son histoire à lui, sa vie, son travail, ses combats et ses amours. Pour l’éleveur de vaches allaitantes de la fin du XXème siècle, les croyances et théories du complot du communiste éleveur de chèvres qui lui sert de voisin depuis sa tendre enfance s’érigent en véritables menaces. Car le XXIème siècle pose en se rapprochant des questions qui imposent un choix. Il faudra choisir entre manuel et numérique, entre tradition et innovation, entre nature et artifice, entre passé et futur. Mais l’histoire n’a-t-elle pas déjà fait ces choix pour lui ?
Nature humaine est autant le livre de l’histoire que des histoires individuelles des Français qui la vivent. En cette fin de XXème siècle constellée de changements, Serge Joncour décrit merveilleusement les allers-venus de chacun dans l’acceptation du passage du monde vers le numérique et la consommation à vau-l’eau. Si Alexandre regarde d’un œil observateur plus que contestataire les bouleversements que subit son époque, son voisin « rouge » n’en loupe pas une pour montrer son rejet du « nouveau », quel que soit sa forme, alors que les sœurs d’Alexandre, elles, n’ont d’yeux que pour la ville. Toulouse, Paris, le téléphone, la modernité. Le monde change, se transforme. Une transformation qui paraît d’autant plus forte que Serge Joncour la met en contraste avec certains traditions de la campagne française, avec des manières d’être caractéristiques de sociétés fermées sur le monde et traversées par le rassurant entre-soi : « À la campagne, dès qu’on fait vingt kilomètres, il y en a toujours un pour vous demander d’où vous venez, à vingt kilomètres de chez soi on est déjà un étranger. » Pourtant, l’auteur ne se résout pas à la mélancolie et au drame pour conter ces changements. Au contraire, il ne manque pas l’humour en relatant la séance photo d’un grand publicitaire parisien venu dans la ferme familiale pour y shooter des tranches de jambon. Tout un programme…propice à une réflexion sur notre regard de consommateur : « Quand on fait une pub pour le jambon, il faut surtout pas montrer de cochons, sinon les consommateurs prendraient peur. Les consommateurs c’est pas avec du réel qu’on les fait rêver, le réel ils sont dedans tous les jours, le chômage, l’inflation, Tchernobyl, le sida, l’explosion de Challenger, le réel c’est tout ce qui nous pète à la gueule… »
Réalisme et humour, donc, mais idéalisme, aussi. C’est ce qui fait se démarquer à ce point ce roman où la quête d’identité nationale se mélange à l’individuelle. Il y a le capitalisme et la société de surconsommation, mais il y a aussi Mitterrand, les grandes idées de gauche, la lutte contre le nucléaire. Il y a le téléphone, les courses dans les supermarchés, l’avion une fois pour Alexandre, mais il y a aussi les champs de menthe sauvage, berceau de sa seule passion amoureuse, et la belle et pacifiste Constanze qui se donne autant qu’elle se refuse. Il y a tous ces paradoxes qui font la vie et l’histoire, que font la nature et les hommes. On suit les interrogations, l’écartèlement que ressent notre protagoniste entre d’une part la tradition, la connaissance, l’identité, et d’autre part les lois du marché, qui deviennent de plus en plus celles de la vie. La vie, celle des « c’étaient les montagnes de ventilateurs Calor à l’entrée du Mammouth, avec en prime le Tang et les glaces Kim Pouss, signe que ce monde était tout de même porteur d’espoir. »
Pourtant, dans ce monde où tout ne devient plus que pouvoir par l’argent et mondialisation, où finalement « Maintenant ceux qui rêvent, eh bien ils rêvent d’avoir une vie comme tout le monde… », nulle solution n’implique résignation. Résigné, c’est bien ce qu’Alexandre n’est pas, ce qu’il évite d’être à tout prix. Au fur et à mesure de sa vie, de la vie politique française, de la surnormalisation qui s’impose à sa manière de travailler, il fait l’apprentissage de mille moyens de lutte en même temps que celui de ses propres convictions, de sa nature à lui, de sa nature humaine.
Les mots de Serge Joncour nous ont transportés par leur sincérité, leur authenticité et leur clairvoyance. Dans la vie, dans l’amour, dans l’histoire la nature, il n’y a pas de blanc et noir, mais d’infinies nuances. Et chez Mingzhu Nerval, c’est en mariant les couleurs et les formes des plantes que nous l’exprimons nous aussi à notre manière. « L’histoire c’est comme la nature, il s’agit moins de tout comprendre que de savoir tirer des leçons. »
Texte par Agathe Moissenet